Laurent Tixador & Abraham Poincheval – Le voyage comme œuvre
« Journal d’une défaite », une aventure sans récit mais pleine de sens
Une aventure artistique en marge des récits classiques
Avec Journal d’une défaite, présenté au MAC/VAL en 2008, Laurent Tixador et Abraham Poincheval signent une œuvre déroutante, hybride, à la croisée du récit de voyage, de l’art conceptuel et de la performance silencieuse. Pas de grand discours, pas de spectaculaire, mais des traces : une vidéo, une toile, une bouteille. Et, surtout, une manière de faire de l’expérience elle-même un matériau artistique.
Leur démarche prend le contre-pied des récits d’aventure héroïques. Ici, l’effort n’est pas célébré, mais intégré dans une démarche discrète, presque contemplative. Ce n’est pas le but qui importe, mais le processus, le rythme, le ressenti du déplacement.
Un périple modeste, une œuvre forte
Le projet semble presque banal : traverser une partie de la France à vélo, depuis Carquefou jusqu’à Verdun, en passant par Hérouville Saint-Clair. Et pourtant, ce voyage, filmé sans mise en scène ni commentaire, devient un terrain d’expérimentation. Tixador et Poincheval s’enregistrent le matin sortant de leur tente, pédalant sous la pluie, grignotant dans un cimetière, contemplant la route. La vidéo de 12 minutes est un anti-reportage : rien n’est expliqué, aucun sens n’est surajouté. L’image suffit.
Ce qui est donné à voir, c’est l’épaisseur du quotidien, la lenteur du déplacement, l’endurance silencieuse. Aucun exploit, aucune révélation. Juste deux artistes, et ce qui subsiste d’un chemin parcouru : un trajet, quelques objets, beaucoup de vide assumé.
Objets-souvenirs, objets-témoins
À leur retour, ils ne rapportent pas une installation spectaculaire mais trois objets simples, presque dérisoires : une vidéo, une toile blanche, une bouteille. Sur la toile, les noms des trois villes traversées sont reliés par des pointillés tracés au feutre noir — comme une carte d’école minimaliste. Dans la bouteille, deux petites figurines à leur effigie, assises à côté de leur vélo. C’est drôle, touchant, et un brin absurde.
Ces artefacts ont une dimension poétique. Ils évoquent autant les souvenirs d’enfance que les reliques d’un pèlerinage laïque. Leurs œuvres tiennent du journal intime autant que du ready-made. C’est la fragilité même de ces objets, leur caractère dérisoire, qui les rend précieux : ce sont les seules preuves d’un effort, d’un partage, d’un geste artistique.
Un duo complice, une œuvre bicéphale
Travaillant ensemble depuis plusieurs années, Tixador et Poincheval forment un tandem artistique singulier. Ils partagent une sensibilité commune pour l’environnement, le déplacement, le bricolage. Leurs projets conjoints sont souvent nés de situations improbables : vivre dans une grotte, dériver sur une île artificielle, construire une cabane dans les arbres ou enfouir leur propre corps.
Cette œuvre en commun est plus qu’une co-création : elle devient une forme de cohabitation esthétique. Ils fabriquent à deux une narration sans mots, une présence à deux têtes. Leur art explore l’endurance, la lenteur, mais aussi l’humour, le décalage, la mise en jeu des corps. Sans jamais verser dans la performance spectaculaire, ils construisent une autre façon d’habiter le monde.
Défaite ou victoire ? Le paradoxe du titre
Le titre Journal d’une défaite est à prendre au second degré. Ce qu’ils donnent à voir n’est pas une défaite au sens traditionnel, mais un renoncement volontaire à toute logique de productivité, de résultat, de spectacle. Le choix de s’arrêter à Verdun est en lui-même une décision artistique, non un abandon. C’est le refus du dépassement pour le dépassement, une affirmation du droit à l’interruption.
Ce geste est précieux dans une époque où tout semble devoir être justifié, narré, rentabilisé. En cela, Tixador et Poincheval offrent une véritable leçon de liberté artistique. Ils affirment que l’œuvre peut exister sans finalité visible, sans message imposé, sans récit héroïque. C’est une victoire discrète, mais essentielle, sur les cadres habituels du monde de l’art.
Un héritage entre land art, performatif et minimalisme
Le travail de Tixador et Poincheval s’inscrit dans une tradition artistique multiple. On y retrouve des résonances avec le land art des années 1970, dans cette manière d’inscrire le corps dans le paysage, de travailler avec la temporalité naturelle. On pense aussi à l’art minimal, dans l’économie de moyens, la radicalité de la forme. Enfin, il y a chez eux une part de performance, mais sans public, sans dramaturgie, sans recherche de spectaculaire.
Ils explorent une esthétique de l’infra-ordinaire, pour reprendre le terme de Georges Perec. Ils font de l’attente, du déplacement, du sommeil même, des matériaux de création. Cette démarche discrète interroge notre rapport au réel, à l’image, à l’œuvre. Elle invite à habiter autrement le monde — avec attention, avec lenteur, avec complicité.
Une réception critique attentive
Les œuvres de Tixador et Poincheval ont suscité l’intérêt des critiques, notamment pour leur manière de renouveler la question du récit en art. Certains y ont vu une critique des logiques institutionnelles, d’autres une forme de retour à la simplicité du geste créateur. Leur pratique fait l’objet d’études en art contemporain pour son articulation unique entre déplacement physique et proposition poétique.
Ils sont aujourd’hui reconnus pour leur cohérence et leur inventivité. Loin des effets de mode, leur œuvre continue de tracer une voie singulière dans le paysage artistique contemporain français et européen.
Une œuvre à habiter, non à consommer
Ce que propose Journal d’une défaite, c’est une autre forme de rapport à l’art. Un art qui ne s’impose pas, mais se propose. Un art qui laisse de l’espace au regard, à l’interprétation, au doute. C’est une œuvre qu’on ne comprend pas tout de suite, qu’on ne “like” pas d’un clic, mais qui reste, qui marque, qui travaille en profondeur.
Dans une époque de saturation visuelle, cette discrétion est salutaire. Elle nous rappelle que l’art peut encore être un lieu de respiration, d’attention, d’humanité. Et que le chemin, parfois, vaut bien plus que l’arrivée.
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